mardi 13 septembre 2011

MARKETING EN AFRIQUE : Google investit l’Afrique











Après avoir longtemps délaissé le continent noir, le géant américain s’attaque à ce vaste marché en pleine expansion.

«S’il y a peu d’Africains sur le Net, c’est notamment parce qu’il y a encore peu de contenus conçus pour et par les Africains», veut-t-on croire au siège de Google. C’est à partir de ce constat simple mais lucide que la firme californienne a élaboré sa stratégie d’implantation sur le continent noir.


Une approche très «silicon Valley» qui ambitionne de faire reculer la pauvreté et de contribuer au développement économique de l’Afrique grâce à Internet et à l’innovation technologique. Mais Google n’est ni un philanthrope ni une ONG.


Derrière l’image d’une entreprise éclairée et bienveillante qu’elle se façonne en Afrique, Google est là pour conquérir un marché vierge et ignoré par les autres géants de la Silicon Valley californienne. Quitte à s’impliquer dans des conflits internes, à soutenir des révolutions et à pratiquer une diplomatie agressive.


Après s’étre retiré de Chine —un marché qui compte 340 millions d’internautes— Google s’attaque à l’Afrique en ciblant les 500 millions d’utilisateurs de téléphones mobiles, qui sont les futurs internautes. Google compte faire du continent son prochain cybereldorado, et mise sur le long-terme.


Tout a commencé en 2006 avec l’ouverture de bureaux régionaux au Caire (Egypte), à Nairobi (Kenya) et à Johannesburg (Afrique du Sud). Une année plus tard, Google recrute son premier employé africain, Joseph Mucheru. Ce Kényan de 32 ans formé entre Londres et Stanford (Californie) a créé sa première start-up en 1999. Il est considéré comme l’un des pionniers de l’Internet africain.


Google l’a donc choisi pour piloter la stratégie en Afrique subsaharienne. Objectif: créer et façonner un Internet africain estampillé Google. Et pour atteindre ce but, le premier moteur de recherche au monde recrute les meilleurs geeks et cyberactivistes du continent.


Elite africaine 2.0


La Kényane Ory Okolloh, 33 ans, qui vient d’être nommée à la tête de la politique de Google en Afrique, en fait partie. Blogueuse, avocate diplômée d’Harvard, on la surnomme la «gourou du crowdsourcing».


Ory Okolloh s’est fait connaître en 2007 avec le remarqué projet open source Ushaidi, qui a permis aux Kényans de signaler et localiser via leur téléphone ou Internet les incidents lors de la dernière campagne présidentielle agitée, en décembre 2007. Un outil qui a d'ailleurs été réutilisé au lendemain du tremblement de terre du 12 janvier 2010 en Haïti.


Okolloh est une figure de proue de cette élite 2.0 africaine. Invitée par la prestigieuse conférence américaine TED organisée à Arusha en juin 2007, elle a raconté sa vie, tout simplement. Une enfance pauvre dans une famille nombreuse, un père mort du sida…Puis elle interpelle le public: «Imaginez que ce soit tout ce que vous saviez sur moi? Vous me regarderiez avec pitié. Et bien c’est comme ça que vous voyez l’Afrique.»

Activiste, elle rêve de changer le continent noir et son image en Occident grâce aux nouvelles technologies. «C’est en Afrique qu’Internet aura le plus d’impact ces dix prochaines années», explique-t-elle sans hésiter.


Aujourd’hui, les Africains représentent près de 5% des internautes dans le monde. Mais de très fortes inégalités demeurent au sein du continent. Plus de la moitié des internautes africains sont nigérians et égyptiens. Comme elle l’explique sur son blog, Ory Okolloh doit négocier et convaincre des chefs d’Etat, des organisations interétatiques régionales et des industriels qu’Internet est une des clés du développement de l’Afrique.


Elle tweete depuis longtemps avec Paul Kagamé. L’ancien rebelle devenu président de la République du Rwanda est convaincu des vertus économiques d'Internet pour les pays en voie de développement, comme il l’expliquait dès 2008 lors du salon high-tech CES à Las Vegas.
Ecosysteme africain et diplomatie «politico-commerciale».


Ces deux dernières années, les développeurs et les employés de Google en Afrique ont pris leur bâton de pèlerin pour dispenser des formations gratuites pour les universitaires, les entrepreneurs, les blogueurs et les leaders numériques, tout en animant des conférences un peu partout en Afrique pour «éduquer les utilisateurs d’Internet locaux aux produits Google». La prochaine a lieu à Dakar le 21 et 22 février prochain. Une sorte d’évangélisation soft.


Et les ingénieurs ont déjà créé une palette d’applications et d’outils en ligne pour les internautes africains. Comme cette déclinaison de Gmail en wolof (la langue la plus parlée au Sénégal), amharic (Ethiopie) et swahili (Afrique de l’Est) avec une application de chat par sms.


Au siège californien de Google, la stratégie se résume en un mot: proximité. Du coup les «Google men» sillonnent le continent et innovent selon les besoins des internautes.


«Google a compris qu’il pouvait être le premier et il a de l’avance. Mais le principal problème de l’Internet en Afrique est la lenteur de la connexion et le prix élevé», relativise l’expert sud-africain Arthur Goldstuck, qui dirige le centre d’analyse World Wide Worx. Et d'ajouter, «nous sommes en plein dans la révolution africaine de l’Internet tant d’un point de vue technologique que politique».


Les révolutions tunisienne et égyptienne ont placé Internet et les réseaux sociaux au coeur de l’actualité bouillante. Les cyberactivistes nord-africains ont joué un rôle considérable dans ces soulèvements, avec le soutien assumé de Google qui se pose en défenseur d’un Internet libre et de la défense de la liberté d’expression.


Google revendique une certaine neutralité politique mais se comporte comme un puissant activiste. En Afrique, la facette militante de Google s’est dévoilée au Soudan pendant le référendum du 9 janvier 2011, qui portait sur l’indépendance du Sud-Soudan, les électeurs se sont prononcés à 99% en faveur de la sécession.


La société s’est associée à l’ONU et à des ONG pour réaliser le projet de l’acteur américain Georges Clooney de surveillance satellite de la frontière entre le nord et le sud du Soudan pour pointer les crimes de guerre. En Egypte, la firme a publiquement pris position et a technologiquement soutenu la révolution.


En charge du marketing de Google en Afrique du Nord, Wael Ghonim est aussi un influent cyberactiviste égyptien. Il a joué un rôle déterminant dans le mouvement grâce à Internet et aux réseaux sociaux.


Après avoir passé douze jours entre les mains des services d’Etat égyptiens, les yeux bandés, il est devenu le héros de cette révolution égyptienne —et l’un des meilleurs représentants de «Son Excellence Google». A peine libéré, Ghonim remercie son employeur sur Twitter: «Aujourd’hui, je me dis que "j'ai de la chance" de travailler pour cette entreprise».


Avant son enlèvement, la firme avait développé dans l’urgence une solution de messagerie vocale avec Twitter pour contrer la violente censure de l’ex-président Hosni Moubarak. Cette initiative s’est réalisée avec l’appui du département d’Etat américain, comme l’explique Foreign Policy.


«Ce n’est pas nouveau qu’une multinationale pratique une forme de diplomatie politico-commerciale. Ce qui est nouveau c’est qu’elle le fasse publiquement avec des résultats si directs», commente Lina Khatib, spécialiste en diplomatie numérique à l’université de Stanford.
«Cela a un impact direct sur l’image de la firme mais aussi sur l’image des Etats-Unis qui donnent l’impression d’être des activistes qui travaillent de pair avec les cyberactivistes arabes», ajoute la chercheuse.


L’homme qui fait le lien direct entre la Silicon Valley et Washington est le brillant Jared Cohen, 29 ans. Il a intégré le département d’Etat à l’âge de 24 ans. Jusqu’en septembre dernier, il était notamment en charge de l’innovation et du contre-terrorisme avec une spécialité sur l’Afrique et le Proche-Orient.


Il est expert en diplomatie numérique; discipline qui consiste à utiliser subtilement le «savoir-faire du XXIème siècle», c'est à dire les nouvelles technologies et les réseaux sociaux.
Après avoir participé à révolutionner la diplomatie américaine, Cohen a rejoint en septembre dernier le tout nouveau think tank Google Ideas. Il a été envoyé sur place, d’abord en Egypte le 27 janvier pour prendre le pouls de la révolte anti-Moubarak et contribuer au mouvement. Son séjour africain l’a ensuite conduit au Nigeria où, dit-il succinctement, il a emmagasiné de «nouvelles idées».


Plus qu’un simple moteur de recherche ou qu’une multinationale, Google influence. La firme a décidé d’investir le continent africain et conquiert un marché qu’elle est en train de créer sur-mesure.


Une stratégie qui se veut «gagnant-gagnant» avec le rêve californien de faire entrer l’Afrique pleinement dans l’ère numérique.


Ou comment changer grâce aux nouvelles technologies la face d’un continent longtemps délaissé par les Américains.


Joan Tilouine et Olivier de Gandt, slateafrique.com