samedi 7 février 2009

La société de consommation est morte !

Plus les jours passent et plus j’ai le sentiment que nous n’assistons pas à une crise financière au sens classique.

Non, je pense que nous assistons à bien pire que cela, ou à bien mieux.

Nous avons connu deux grandes crises majeures, en termes d’impact et de profondeur, depuis l’avènement des places de marché globales : la crise de 1929 et celle de 2008. En apparence financières, ces deux crises furent en réalité des ruptures violentes de systèmes de valeurs et de production obsolètes.

Je m’explique et vous risquez de lire le post le plus long du monde ...

La crise de 1929 est en apparence la conséquence d’une bulle spéculative aggravée par un système d’achat à crédit d’actions qui permet, depuis 1926, d’acheter des titres avec une couverture de 10%.

Assez classiquement, l’effet de ciseau entre la remontée des taux d’intérêt à court terme et la stagnation des cours oblige les investisseurs à des appels de marge et déclenche une réaction en chaîne qui provoquera l’effondrement des bourses et la grande récession.

En réalité, derrière la crise de 1929 se cache la crise d’un modèle de société et d’une économie qui depuis son industrialisation repose sur une exploitation sans vergogne des masses salariées.

Tout au long du dix-neuvième siècle, l’appareil industriel a transformé le paysan en prolétaire.

L’appareil de production a connu une croissance fantastique, des gains de production majeurs ont été réalisés, mais sans que les employés en profitent réellement. De 1920 à 1929, la production industrielle augmente de 50% sans que les salaires suivent.

Cette situation crée, d’un côté, une tension sociale et politique ultime qui se traduit par le développement de mouvements révolutionnaires de plus en plus radicaux, et de l’autre des crises de surproduction à répétition.

L’appareil de production devient de plus en plus productif : on produit de plus en plus, mais on arrive pas à vendre la production simplement parce qu’il n’y a pas assez d’acheteurs solvables.

Le secteur financier sera le déclencheur ou l’accélérateur de la crise de 1929, mais c’est l’incapacité du secteur de production capitaliste à résoudre la question sociale et la crise de surproduction qui est la cause réelle de l’effondrement. C’est d’ailleurs en pointant cette double incapacité que Marx prédit l’effondrement inévitable du système capitaliste.

En effet, pour Marx la crise de surproduction est cyclique et inhérente au système capitaliste, et la tension entre l’exploiteur et l’exploité est tellement extrême dans le système capitaliste que la révolution est inévitable.

La crise de 1929 est donc une époque charnière où le système financier explose, la tension sociale est à son apogée, l’appareil de production s’effondre.

Et c’est au cœur de cette séquence historique que le capitalisme industriel va se réinventer.

Par un génie d’adaptation, le système capitaliste va muter en profondeur. Après avoir transformé le paysan en prolétaire, l’appareil de production va transformer les prolétaires en consommateurs.

En anglais le terme est frappant : « consumer », littéralement celui qui consume. Comme si le système avait voulu inventer un être capable de consumer tout ce que l’industrie du carbone produisait en grande quantité.

Et c’est là que le marketing et la publicité rentrent en jeu. Ils inventent de nouveaux codes, deviennent les pédagogues de la consommation.

Dès lors, l’équation du système va être bouleversée : les salaires augmentent fortement et permettent de trouver des débouchés nouveaux pour l’appareil de production. Les congés payés voient le jour et font naître l’industrie du tourisme et du divertissement. La société prolétarienne avec ses codes disparaît peu à peu, et nous voyons émerger une classe moyenne pour qui la consommation devient un nouvel eldorado.

La consommation pour tous et par tous devient le nouveau contrat social de l’Occident moderne.

Je consomme donc je suis.

Ce contrat social régit encore notre société. Mon propos est le suivant : je pense que nous sommes en train d’assister, médusés, à la fin de la société de consommation. C’est aussi simple et aussi radical que cela. Pour cette raison, penser que cette crise n’est que financière est certes très confortable mais totalement faux.

Très confortable parce que s’il ne s’agit que d’une crise financière, il suffit d’utiliser la puissance publique pour garantir les crédits interbancaires, recapitaliser les banques, renforcer les audits, être plus drastiques sur les taux de couverture… Confortable parce que cela revient à penser que cette crise est due à une bande de financiers irresponsables, et que fondamentalement dans quelques mois tout repartira comme si de rien n’était.

Totalement faux parce que la crise financière est la conséquence directe d’un modèle de société qui repose sur un soutien abusif à la société de l’hyperconsommation.

Le postulat idéologique qui a présupposé à la titrisation et au subprimes n’est ni libéral, ni étatitique, mais totalement productiviste.

Vous pouvez mettre plus ou moins d’état dans les politirsophistication du système financier.

Si nous avons abaissé collectivement les taux d’intérêt, c’est pour soutenir artificiellement la consommation en permettant aux Etats de s’endetter à peu de frais et aux consommateurs de se gaver de crédit à la consommation ou à la construction. La baisse des taux profite aux consommateurs dépensiers et aux Etats qui préfèrent le déficit chronique pour doper la consommation intérieure à la réforme.

Si nous avons développé aussi massivement la titrisation, c’est parce que la société, dans son ensemble, demande toujours plus de crédit aux organismes de crédit. Pour répondre aux normes prudentielles, ces organismes ont décidé de se financer par la revente sur le marché des capitaux de ces paquets de crédits sous la forme de titres financiers.

La crise que nous rencontrons aujourd’hui est profonde. Ce n’est pas le sauvetage du seul système financier qui nous permettra d’en sortir.

Car, au-delà de la crise financière, c’est la société de consommation comme modèle de société qui est aujourd’hui caduque.

La société de consommation ne peut plus être notre nouveau contrat social parce qu’elle n’est plus en mesure de garantir le progrès, la prospérité et la stabilité sociale.

Simplement parce qu’avec la globalisation, lorsque vous consommez avec votre carte de crédit, ce n’est plus aux travailleurs rhénans ou américains que vous fournissez un emploi mais aux travailleurs chinois ou indiens.

Simplement parce que la mécanique de l’imposition du message publicitaire a en grande partie vécu. Le consommateur est devenu un producteur de contenu et décode parfaitement les recettes du marketing. Le meilleur exemple ? Une expression que nous employons tous, sans en mesurer la portée : « c’est du marketing ». Dans le langage courant, cette expression veut dire c’est du pipeau.

Et enfin, et surtout, parce que ce modèle est une impasse écologique. Nous ne pouvons plus continuer à produire en partant du principe que l’énergie ne vaut rien, que la pollution est un facteur secondaire. L’appareil productif doit aujourd’hui intégrer les externalités environnementales et sociales. C’est-à-dire que nous devons intégrer dans les coûts de production le juste prix des matières premières et l’ensemble des impacts environnementaux et sociaux des produits que nous consommons. Et c’est une révolution majeure.

C’est pour cela que je pense que ce nous traversons aujourd’hui est un phénomène majeur.

Majeur dans le sens où nous allons basculer dans un nouveau monde.

Un monde qui sera par nécessité plus respectueux de l’environnement, moins productiviste et donc reposant moins sur un recours systématique au crédit. Mais un monde plus polarisé où nous risquons de voir disparaître cette classe sociale qui a charpenté la société de consommation : la classe moyenne.


Bruno WALTHER,
Marketing and IT Geek
CEO OgilvyOne France