mercredi 1 avril 2009

1ère enquête Ipsos sur les styles de vie des jeunes Mahorais

1ère enquête Ipsos sur les styles de vie des jeunes Mahorais Les 5 "familles" mahoraises

79% des jeunes Mahorais sont pour le département

Déjà réalisée en Métropole, dans les Dom et dans une quarantaine de pays et territoires, Mayotte dispose enfin de sa 1ère enquête sur les styles de vie des jeunes mahorais, de 15 à 24 ans. Réalisée tous les 7 à 10 ans, cette étude "à 360°" permet de disposer de données uniques sur les populations concernées avec près de 2.000 questions posées à chaque individu. Les craintes, les espoirs, les préférences musicales, politiques, sociétales, les relations face aux politiques, à la religion, à la société, aux clandestins, aux médias, les envies d'achats, les études, les parents… tout y passe. Cette 1ère enquête exceptionnelle met en avant pour Mayotte des résultats… parfois surprenants.

Habitué à réaliser ce type d'enquête à travers le monde et dans les Dom en particulier, c'est la première fois qu'Ipsos relève, parmi les 5 "socio-styles" définis à Mayotte, une différenciation des groupes en fonction du sexe des personnes interrogées : 2 groupes essentiellement constitués d'hommes, 2 groupes de femmes et un mixte.
De plus, si on considère ensemble les profils des "jouisseurs" et des "frustrés", les deux groupes masculins, l'institut constate que la situation sociale est "potentiellement explosive" pour 40% de la jeunesse mahoraise. L'enjeu est de réussir à proposer à ces groupes des emplois, des espoirs, sous peine d'en perdre complètement le contrôle.

Vendredi dernier, Jean-Paul Brouchot directeur général de l'institut d'études et sondages Ipsos océan Indien a présenté à l'Auberge du rond-point la première enquête sur les styles de vie des jeunes Mahorais. Cette première étude multidimensionnelle de l'impact des "socio-trends internationaux" sur les "socio-styles de vie locaux" des jeunes Mahorais a été réalisée en septembre 2008 à partir d'un échantillon représentatif de 370 personnes âgées de 15 à 24 ans qui ont passé des entretiens d'une heure et demie. Depuis huit ans, Ipsos océan Indien a mené des études similaires à Maurice, Madagascar et la Réunion. A Mayotte, l'institut a travaillé avec l'agence Angalia pour recueillir les informations.

Elaborée par Bernard Cathelat dans les années 1970, la méthode de l'étude des styles de vie considère l'individu dans sa globalité et dans toutes ses dimensions psychologiques et comportementales, ce qui permet de déterminer les grandes tendances pour les 7 à 8 années à venir (voir encadré). C'est "un tableau de bord de l'évolution et de la diversité des mentalités, des modes et des styles de vie", explique Jean-Paul Brouchot, "un tour à 360° de l'individu".

Une différenciation des groupes en fonction du sexe

Grâce à un croisement entre les tendances socio-politiques, de consommation et d'information-communication des individus, on peut définir une typologie des différents "socio-styles de vie" pour chaque groupe d'individus. Dans les Dom, Ipsos a mené des études similaires en 1999-2000 et en 2007 et a pu dégager par exemple 8 socio-styles aux Antilles et 12 à la Réunion.
A Mayotte, 5 "socio-styles" des jeunes ont été définis : 28,1% sont des "cocooners", 23,7% des "jouisseurs", 22,6% des "raisonnables", 18,5% des "frustrés" et 7,1% des "hédonistes".

Les cocooners sont de très jeunes filles à la recherche d’une vie tranquille et sage, entre ouverture moderniste et cocooning familial, dans une société paisible sous la protection d’un Etat paternaliste et de dirigeants de grande moralité. Les jouisseurs sont des adolescents qui rêvent de vivre enfin libres pour profiter de la vie, partagés entre les sirènes d’une consommation de frime et une utopie écolo. Les raisonnables sont des jeunes femmes partagées entre leur destin programmé de mère de famille soumise et moraliste et un rêve de Cendrillon. Les frustrés sont des jeunes gens défavorisés, peu éduqués, frustrés de "chances", crispés sur une identité culturelle de rejet défensif et sur les traditions machistes. Les hédonistes enfin sont à la recherche individualiste de plaisirs matérialistes et d’épanouissement personnel indépendant, dans une société ouverte à la modernité, c'est le seul groupe vraiment mixte.

Jean-Paul Brouchot relève que les hédonistes sont beaucoup moins nombreux que dans les autres Dom et la Métropole et précise que "plus de 40% des jeunes sont potentiellement une source d'explosion sociale : les frustrés ont envie de consommer et les jouisseurs veulent profiter pour eux seuls". D'autant que, comme l'institut l'a constaté dans tous les pays développés et dans les Dom, la mondialisation peut construire un stress permanent sur les individus à cause de l'imprévisibilité, de la précarité et de l'incommunicabilité des sociétés modernes.

74% pensent qu'ils seront heureux demain, contre 46% aujourd'hui

Face à la mondialisation, les individus ont à la fois une stratégie de répulsion et de fascination, sauf à Maurice, qui est "le seul territoire au monde où il n'y pas de répulsion", précise Jean-Paul Brouchot. Pour fuir l'insécurité globale de la société, les individus peuvent effectuer un repli sur eux-mêmes, sur leur sphère privée, familiale et individualiste : c'est ce qu'on appelle le "bunkering", le "cocconing" ou le "zen". A l'inverse, ils peuvent se prononcer pour un "hyper-moralisme répressif" où la loi, l'ordre et le contrat sont érigés en valeurs absolues, dans une stratégie défensive.

Dans les résultats de cette enquête, on apprend que 79% des jeunes sont pour le département, 26% pour l'autonomie associée et 2% sont indépendantistes, sachant que cette étude prend en compte par extrapolation et selon la méthode des quotas, toute la population de l'île, y compris les clandestins. Cette volonté d'autonomie ou d'indépendantisme est par exemple très sensible chez les "frustrés" qui, exclus de la société de consommation par l'absence d'études ou d'emploi, se réfugient dans un très fort repli sur eux-mêmes et rejettent tout ce qui vient changer leur système, tout comme les "jouisseurs" qui profitent au maximum du système, se pensent "malins" et peuvent imaginer perdre de leur liberté dans un cadre départemental plus formel.

Le changement de statut suscite tout de même de nombreux espoirs chez les jeunes qui pensent qu'ils seront heureux demain à 74%, contre 46% aujourd'hui, mais comme le souligne Jean-Paul Brouchot, "c'est un espoir matérialiste et financier plus que social". 71% des jeunes ont confiance dans la France et 79% estiment être respectés par les wazungu. De l'autre côté, on note un rejet des Comoriens : 71% se méfient des Comoriens installés à Mayotte et 68% estiment qu'ils sont trop nombreux sur l'île (alors qu'un tiers de l'échantillon interrogé est constitué de jeunes clandestins d'origine comorienne…).

Désaffection pour la politique, mais pas pour la religion

A l'instar des études qui ont pu être menées sur les jeunes en Métropole ou dans les Dom, on note également une nette désaffection pour la politique au profit d'un intérêt pour les mouvements associatifs : 47% n'ont pas de préférence politique locale, 45% n'ont pas envie de voter, 73% n'ont pas envie de militer en politique, mais 58% sont prêts à donner du temps bénévole et 61% à faire partie d'associations culturelles et sportives. Les hommes politiques locaux sont quant à eux jugés très sévèrement : 77% sont considérés comme "opportunistes", 76% comme ayant des "visions personnelles" et 70% sont "sourds". Pourtant, 73% des jeunes ont confiance dans le gouvernement, beaucoup plus éloigné...

Même si les valeurs occidentales matérialistes sont de plus en plus intériorisées par les jeunes Mahorais, il en est tout autrement du rationalisme cartésien, de la désaffection de la pratique religieuse et du relativisme des croyances que l'on peut constater en Métropole : 89% des jeunes Mahorais estiment que la religion est importante, 78% déclarent être pratiquants (dont 41% réguliers), 91% croient en la prière, 70% au cadi, 63% aux guérisseuses et 56% aux sorts.

Concernant le monde économique, les jeunes ne semblent pas avoir une grande estime pour les patrons : 65% pensent qu'ils sont frileux, 64% qu'ils ne sont pas solidaires et 60% qu'il n'y pas de dialogue avec eux. Enfin, le futur changement de statut suscite de grands espoirs, car aujourd'hui 80% des jeunes Mahorais estiment qu'ils sont moins bien traités et reconnus que dans les autres Dom-Tom, 66% que Mayotte est une île oubliée, 62% qu'ils sont une charge, 59% s'estiment incompris et 56% pensent qu'ils ne sont pas respectés. Il y a donc beaucoup de travail pour changer tout ça.

Julien Perrot Mayotte Hebdo 20 03 2009 (mayottehebdo.com)