samedi 21 février 2009

Faire le marketing en Afrique :

Faire le marketing en Afrique :

Avis de l'expert André Tavarez do Canto.

Les règles en marketing sont immuables. On ne saurait parler d’un type de marketing purement africain. Le problème c’est qu’il faut les adapter à leur environnement, et à la culture de chaque peuple. Chaque politique marketing doit respecter l’africain en tant qu’être humain dans son environnement socio-économique et culturel.

I/PME : On parle de vous en tant que spécialiste avéré du marketing en Afrique. Dites nous comment fait t-on le marketing en Afrique ou la règle économique semble ne pas avoir de sens ?

M. Do CANTO : Dire que la règle économique n’a pas de sens c’est trop dire. Dans l’informel, si on regarde ici au Sénégal comme dans beaucoup de pays d’Afrique, les gens n’ont pas une stratégie écrite du marketing, une stratégie élaborée et formalisée; mais tout le monde fait du marketing. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui pensent que pour faire du marketing, il faut avoir été à l’école. Ces gens ne font pas un travail élaboré, mais on a beaucoup à apprendre d’eux.

I/PME: On dira peut-être qu’ils font un travail mais qui semble ne pas être planifié.

M. Do CANTO : Dire que ce n’est pas bien planifié ne me semble pas exact. C’est planifié dans leurs têtes, mais pas écrit sur papier.

I/PME: Comment réussissent-ils alors à le faire ?

M. Do CANTO : Ce sont des gens qui ont une mémoire extraordinaire. Pour certains, ils ont fait l’école coranique et quand on fait l’école coranique on développe une capacité de mémorisation remarquable. J’ai fait une mission au Mali en 1984 où j’ai rencontré des grossistes et des importateurs de noix d’anacardes. Ils ont tous leur stock en tête. Ils ont une capacité de mémorisation excellente.

Le seul problème c’est que quand ils ne sont pas là, on ne peut rien faire. N’empêche ce sont des gens qui ont une grande capacité de gestion, ils font des prévisions. On a vu pendant la dévaluation au Sénégal, de grands diplômés en Management confrontés à de sérieux problèmes de gestion. Donc il ne faut pas penser que ces gens là ne font pas le travail qu’il faut. Ils font du marketing et du management contrairement à ce que pensent beaucoup de gens.

I/PME : s’agit-il là d’un modèle qui réussit ?

M. Do CANTO : Pas forcément, c’est une formation qui se transmet de père en fils. C’est vrai que comme ça on ne peut pas développer le continent. L’intérêt c’est de capitaliser les acquis de tout le monde et de permettre aux uns d’apprendre ce qu’il y a de mieux chez les autres.

I/PME : Qu’est ce que les gens du formel peuvent apprendre chez ces personnes- là ?

M. Do CANTO : Je pense qu’il faut que les chercheurs, les universitaires aillent vers eux et essayent de voir comment ils s’organisent afin de nous permettre d’en tirer des enseignements.

I/PME : Le client africain a-t-il vraiment des droits que doivent respecter celui qui veut lui vendre ?

M. Do CANTO : Dans tout métier il y a des règles à respecter. Le gros problème c’est que ces règles ne sont pas souvent respectées. Ceux qui sont restés collés à la tradition ont de gros problème à respecter ces règles-là.

I/PME : On dit des africains qu’ils ne respectent pas la qualité.

M. Do CANTO : C’est faux, il y a beaucoup d’africains qui cherchent la qualité. Si vous prenez une ville comme DAKAR les gens font beaucoup d’efforts pour avoir et offrir de la qualité. Les africains veulent la qualité; mais ils n’ont pas les moyens de la qualité.

I/PME : Quand on est en face des pauvres qui ont un pouvoir d’achat faible, comment peut-on mieux définir la stratégie marketing ?

M. Do CANTO : Il faut simplement étudier le comportement des gens. Quelles sont les attentes, quels sont leurs besoins. En fonction des besoins et des attentes, on peut proposer un produit qui réponde aux attentes des consommateurs.

I/PME : Que pensez-vous des modèles importés que les marketers tentent souvent d’appliquer en Afrique ?

M. Do CANTO : Ces modèles existent également chez nous et sont applicables pour la plupart. Comme j’ai l’habitude de dire aux étudiants, le marketing c’est d’abord culturel.
Il y a des règles qui sont immuables dans le monde entier. Maintenant, quand on rentre dans le domaine culturel c’est difficile de dire cela. En marketing, il faut souvent analyser le comportement des consommateurs et c’est après qu’on essaie de l’appliquer aux consommateurs.

I/PME : De là, peut-on dire que l’Afrique a son marketing ?

M. Do CANTO : les règles en marketing sont immuables. Quant à leur applicabilité, on voit l’environnement, la culture et on l’adapte. Comme on le dit dans le marketing international: think global and act local.

I/PME : Quelles sont les règles d’or à respecter pour faire du marketing efficace en Afrique ?

M. Do CANTO : D’abord il faut respecter l’africain en tant qu’ être humain dans son environnement. Il faut l’étudier, l’explorer pour voir ses attentes, ce qu’il attend d’une entreprise. Mais il y a des produits pour les quels il faut forcément ajouter une petite touche africaine pour les rendre proches des attentes des africains.

I/PME : Parlant de cette touche africaine, que pensez-vous des publicités qui incarnent certains domaines et situations loin de ce qui se passe en Afrique ?

M. Do CANTO : Dans la publicité il faut vous rendre compte qu’il y a polémique à différents niveaux. Il y a certains qui dès qu’ils voient une publicité africaine disent que c’est nul parce qu’ils ont vécu en France. Ils oublient que cette publicité est faite pour une cible bien donnée. Quand on fait de la publicité, on s’adresse à des populations précises qui ont un comportement précis.
Il faut d’abord voir à quelle cible on veut s’adresser. Vous avez des publics avec lesquels, il faut communiquer au 1 er degré c’est à dire être très terre à terre dans la communication. Vous avez d’autres qui ont un niveau plus élevé. Là c’est pour les entreprises haut de gamme. Il faut analyser les effets de la communication à ce niveau.

I/PME : Avec le développement de la presse en générale, l’audiovisuel en particulier, on constate que les budgets de communications des entreprises augmentent. Comment expliquez-vous ce fait ?

M. Do CANTO : Vous avez beau avoir le plus beau produit du monde, si le public ne le connaît pas, vous ne vendrez pas. On est condamné à communiquer, faire connaître la qualité, les avantages du produit pour que la cible puisse identifier le produit et l’acheter. Il y a deux manières de communiquer: la stratégie « push » et la stratégie B. la première consiste à inciter, donc on stimule la force de vente et le réseau de vente par le biais de la vente et les commissions réservées aux commerciaux. On leur fait ainsi gagner de l’argent. Là ils vont être obligé de vendre le produit. L’autre manière c’est de créer la demande. On informe le public, on va créer la demande et le public demande le produit.

I/PME : Il y a une tendance qui a court en Afrique et qui laisse croire que vendre en Afrique est une question de relation. Pensez-vous que la démarche commerciale telle que nous la connaissons: prospecter, vendre et fidéliser n’a pas de sens en Afrique ?

M. Do CANTO : Quand on dit que la vente est une question de relation, c’est vrai dans certaines situations. Quand par exemple, la personne n’a pas vraiment besoin du produit et qu’elle l’achète pour vous faire plaisir, ou pour vous aider à pouvoir continuer votre activité. Mais pour vendre vraiment, il faut argumenter. Quand les gens sont convaincus que les bénéfices que vous leur promettez sont réellement dans le produit, c’est à partir de ce moment qu’ils l’achètent.

I/PME : Que pensez-vous des commerciaux qui disent « Je ne connais personne là-bas, je ne peux pas aller vendre »

M. Do CANTO : Ce sont des gens qui ne sont pas convaincus que vendre c’est un métier qui s’apprend. Au Sénégal quand on a lancé la première école de vente, nous avions commencé avec vingt deux étudiants. Aujourd’hui on refuse du monde, on a trois classes de soixante étudiants. Toutes les grandes entreprises viennent puiser dans les deux cents étudiants que nous sortons chaque année de chaque promotion.
En Côte d’Ivoire je sais qu’il y a de très grandes écoles de vente. Vendre c’est un métier, elle s’append. Beaucoup de personnes pensent qu’il suffit d’avoir un bon élan, d’être sympathique de savoir bien parler pour être vendeur. Quand on l’apprend, on devient un excellent vendeur.

I/PME : Venons au domaine spécifique des Télécommunications. Ceux qui ont fait les études de faisabilité avaient prévu que le téléphone portable était un moyen de luxe, et que l’africain, le rural ne pouvait pas l’acheter; mais la réalité a été toute autre, si bien que des entreprises telles que la première entreprise de télécommunication du Sénégal ont plus d’un million et de demi de clients aujourd’hui. Se serait-on trompé sur les réalités de l’Afrique ?

M. Do CANTO : Vous savez la communication est essentielle pour nous. L’homme a besoin de communiquer. Vous ne pouvez l’imaginer mais ma domestique a un portable. Quand vous êtes coupé du monde parce que vous n’avez pas les moyens de communiquer, c’est un manque énorme. Nous sommes dans un village planétaire. Mais moi en tant que vendeur, je peux me demander si ces gens peuvent acheter le produit.
Aujourd’hui c’est le portable qui va vers les consommateurs. Et quand vous ne l’avez pas vous avez l’impression de ne pas appartenir au groupe des gens qui sont dans la communication.

I/PME : Mais ça personne ne l’avait prévu même pas l’étude du marché ?

M. Do CANTO : c’est vrai qu’aucune étude du marché ne l’avait prévu. Mais les gens avaient prévu qu’en Afrique ça irait vite. Par contre, personne n’avait prévu que les entreprises européennes allaient installer des plateaux en Afrique pour communiquer. Les gens pensent qu’avec la mondialisation l’Afrique allait être laissée pour compte. Mais l’Afrique participe au concert des nations.
L’Afrique a apporté son savoir-faire. Aujourd’hui on a des gens qui viennent investir pour former des informaticiens à vendre en Afrique. Elle participe à la construction du monde. Les africains ont démontré leur savoir-être. Les africains sont plus forts à communiquer que le reste du monde.

Propos recueillis par Hermann CAKPO
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